Analatsara accueille, abrite et protège en totale liberté dans ses jardins la deuxième
génération d’une famille de lémuriens bambous originaires de Vavatenina,
situé à l’est de Madagascar, à50 km en brousse à l’ouest de Fénérive-Est.

Lors d’un passage en ces lieux, il y a 10 ans de cela, un habitant m’a abordé,
portant un sac mystérieux dans lequel étaient enfermés sept « lémurs bambous »
dans un état proche de la mort : collés ensemble par leurs déjections, sans nourriture
ni eau, la robe terne et le regard éteint… Je les ai achetés pour les libérer, mais un ami
m’a déconseillé de le faire me disant qu’ils seraient tués ou revendus…
Je les ai alors ramenés à Analatsara.
Traversée rapide en bateau tout en leur dispensant « les premiers soins ».
Deux semaines après, ce petit monde était en pleine forme et découvrait prudemment
son nouveau territoire : une nourriture abondante de fruits, un complément de riz
et de pain fort apprécié, la substitution quasi immédiate des pousses de bambou
(absentes ici en quantité) par les tendres pieds d’une herbe légèrement sucrée
(comme les bambous).

Cette acquisition des lémurs fut une grossière erreur de ma part… outre le fait qu’il
soit interdit de les déplacer, le septième se retrouvant seul est mort très rapidement,
rejeté par les autres. Il restait donc trois couples. Cette race étant extrêmement territoriale,
un couple dominant a rejeté violemment les deux autres, affirmant ainsi qu’Analatsara
était sa propriété. J’ai donc mis les quatre parias dans une petite bambouseraie
située au pied du vieux phare, contribuant modestement ainsi à repeupler l’île aux
Nattes d’une espèce qui en avait disparu.
Cette petite colonie se compose maintenant d’une dizaine d’individus.

Puis vint le temps de la découverte de leurs comportements sociaux
(ma vie antérieure ne me montrait que l’abîme de mon ignorance à ce sujet
et il me fallut apprendre…)

Apprendre que leur couple se formait pour la vie, que jamais ils ne se séparaient
et que si l’un d’eux venait à mourir l’autre se suicidait …
Leur portée n’est que d’un bébé par an (chez moi en tout cas) ;

Ils sont parfaitement apprivoisés, mais pas du tout domestiqués
et j’aime cela.

Ils gardent constamment une « distance » respectueuse et délicate.
Leurs manifestations de tendresse, c’est eux qui en décident : elle s’exprime par leur
venue sur l’épaule et s’ensuit alors, les mains autour du cou, une série de câlins et
embrassades pouvant devenir douloureux, car leur langue comporte trois zones allant
du velours et de la soie à une « râpe », leur permettant l’ingestion des aliments plus lourds.

Il me faut aussi parler de leurs quatre mains, car ce sont bien des mains fines
et délicates qui leurs permettent, grâce à leurs cinq doigts,
une préhension précise et douce.

Leurs doigts sont longs et fins, leur paume est pourvue d’un réseau d’empreintes
digitales qui tout comme chez l’homme leur est identitaire.

Mais reparlons de leur couple, ils ne s’éloignent jamais loin l’un de l’autre, mangent ensemble
et surtout dorment ensemble, dans les bras l’un de l’autre, face à face, la tête de l’un sur
l’épaule de l’autre, tendrement enlacés, leurs queues fermant cette boule d’amour.

La saison des amours décuple leurs manifestations de tendresse et de fusion en février
pour donner naissance à un bébé vers novembre ou décembre.
La maman le porte constamment sur son ventre durant les deux premiers mois,
il migre ensuite sur son dos et cela est un émerveillement de les voir se déplacer de branche
en branche avec une souplesse, une précision, une légèreté incroyable ; ce poids supplémentaire
que porte la maman ne semble pas la perturber, ses sauts sont parfois de 2 à 3 mètres.
La nuit venue, ce bébé trouve naturellement sa place dans « la boule » entre son père et sa mère;
s’il pleut, ils dorment ainsi dans les charpentes de notre maison, si le temps est beau sur un arbre
(mais jamais le même) dans les jardins.

Après un an, ce bébé devenu grand doit laisser sa place aux nouveaux- nés.
Son père ou sa mère alors le chasse, et parfois rudement s’il ne veut pas comprendre qu’Analatsara
est le territoire des parents et qu’il doit par lui-même en conquérir un et autonomiser sa vie
(évitant ainsi également tout risque de consanguinité).

Après avoir été le géniteur de quatre portées, le père « Azafady » fut tué par des enfants d’un
coup de fronde. « Malala » (ma chérie) n’a pas résisté à cette douleur, après avoir appelé pendant
deux jours son compagnon, nous l’avons retrouvée au petit matin le crâne fracassé sur le chemin
de pierre. Je ne crois pas à un accident et pense qu’elle a mis fin volontairement à ses jours ;
nous laissant pour ultime témoignage de sa vie sa fille qui bien sûr est restée.
Elle a réussi à faire venir « un amoureux de la bambouseraie » qui vit maintenant près
d’elle et nous attendons les promesses du bébé à venir.

Il y a maintenant 6 ans, lorsque Malala eu son premier bébé, elle est venue me le
présenter sur mon bureau situé au premier étage de ma maison et j’ai pleuré.

Ce texte n’a aucune prétention scientifique, mais il se veut juste le rapport fidèle de
mes émotions et de notre partage d’une vie commune.

Il doit être compris ainsi.