Réveillé tôt le matin d’une journée qui promettait d’être radieuse, porté par une
fraîcheur tonique, je partis à pied par les plages lavées de la nuit, immaculées de la
blancheur de sable si fin et ourlées du vert tendre des cocotiers penchés vers la mer.
De merveilleux coquillages, offrandes de la nuit, arrêtaient le regard par leurs couleurs
éclatantes. La pointe nord de l’île aux Nattes où se situait la passe et les pirogues
permettant de traverser et de se rendre sur l’intérieur de l’île de Sainte Marie,
à 30 minutes d’une marche très paresseuse.
Glisser sur l’eau claire et transparente de la passe en évitant le chemin des forts
courants de la marée montante fut d’un bonheur habituel.
L’arrivée au débarcadère de Sainte-Marie signa comme à son habitude le départ d’une
épreuve aux couleurs locales consistant à rejoindre sans encombre la voiture qui nous
attendait docile et résignée, usée par les pistes improbables, les réparations répétées et
hors normes, la carrosserie défoncée, rouillée, maintes fois repeinte au pinceau, l’intérieur
de nombreuses fois pillé, déchiré, saccagé, les roues voilées ainsi que les phares…
Mais c’est une voiture, signe royal de puissance et de richesse à qui la possède
et ce quel que soit son état.
S’asseoir à l’arrière sur ces banquettes tourmentées est d’abord une délivrance, isolant
d’un monde extérieur tumultueux… Les sièges, s’ils le pouvaient, écriraient des mémoires que
l’on ne peut qu’imaginer et sont recouverts de couvertures bariolées cachant les déchirures
et injures du temps ; une bouteille d’eau vive située près du chauffeur sert à abreuver le
moteur en carburant (le réservoir extérieur étant siphonné régulièrement).
On part… Dans de profondes flaques d’eau des pluies de la veille ou dans la poussière
du sable assoiffé qui couvre la piste. Je vous parle là d’un temps (1995) où il s’agissait
bien d’une piste à peine empierrée (seulement au pied des montées), mais traître et
profondément cahoteuse et il fallait plus d’une heure pour faire les 14 kms qui séparent la
pointe sud de la ville de la côte de Sainte Marie.
Aujourd’hui, après bien des palabres et recherche de sponsors, une route goudronnée
(également ravagée par les pluies, tempêtes et cyclones) suit le littoral
et nous conduit en ville en 20 minutes.
La première tranche de ces travaux longtemps promis débuta par le nord, puis un
2ème tronçon lui succéda après bien des aléas d’enfants blessés qui perdaient ainsi
leurs parcs de jeux préférés, de zébus, oies, canards, poules, ivrognes qui devaient
comprendre que la modernité s’accompagnait de l’augmentation d’une vitesse pas
toujours bien maîtrisée.
Le prix des volailles écrasées fut à ce moment tarifé… Le cours variait selon la richesse
apparente du véhicule et celle supposée du propriétaire, son origine et son ancienneté.
L’inflation en fut soudaine mais la conduite devint plus prudente… et le dernier
tronçon sud fut enfin réalisé, il fallut en tout deux ans…
Deux ans d’une danse ininterrompue dans ce chantier.
Une énorme concasseuse fut installée au pied de la colline rocheuse de Vavate à
l’extrême sud-est à l’île de Sainte-Marie, avec un va-et-vient continu de gros camions
apportant le ballast nécessaire au tablier de la route. Venaient ensuite les rouleaux de
nivellement et enfin le revêtement en goudron qui alimenta également la fabrication
de petites billes issues du goudron qui étaient encore chaudes et qui en séchant
faisaient les munitions des frondes pour les lance-pierres des enfants.
Cette route de circulation plus aisée donna naissance à la construction en
bordure de nombreuses maisons ou commerces modifiant et bouleversant ainsi les
paysages. La fréquentation écolière s’accrut, et il était joli de voir ces processions sages
mais riantes suivre les chemins de l’école.
Celle-ci était déjà bordée de quelques maisons d’habitation, gargotes, marchands
de bois, de falafa et de ravipontsy de ravenala etc… J’oublie de mentionner quelques
garages en plein air, ne manquant jamais de travail car les pannes étaient nombreuses afin
de restaurer les véhicules mis dans un sinistre état par la piste. Il ne fallait surtout pas quitter
des yeux son véhicule pendant les réparations, car le talent des mécaniciens pouvait
démonter votre moteur ou d’autres pièces en une heure de temps pour les remplacer par
des plus vieux…
Les déplacements étaient lents et nous laissaient le temps d’apprécier les paysages,
incluant amis et connaissances qui se désaltéraient de la poussière, du soleil, de la pluie
en buvant une bière bien fraîche (pas toujours) dans une gargote au bord de la piste.
Ces arrêts salutaires nous permettaient de connaître et d’échanger les potins du jour.
La Jirama (fournisseur d’électricité) allongeait ses lignes de distribution et régulièrement
plantait des poteaux de façon artisanale, et ses camions occupaient toute la piste.
Parfois les fils chutaient au sol dans de jolies mais dangereux soubresauts d’arcs électriques.
Les riverains en étaient ravis, car, c’était la promesse dans un avenir proche de s’alimenter
en électricité par des raccordements pirates et bien sûr sans compteur.
L’on arrivait ainsi cahin-caha à Bellevue et au pont digue conduisant à l’îlot Madame et
ensuite au pont digue nord menant à la ville de Ambodifotrata , chef-lieu de Sainte-Marie.
Un mot sur cette digue qui était une construction majeure des années 1920 permettant en
partant de la ville de ne pas effectuer une immense boucle vers l’est contournant la baie des
Forbans pour rejoindre la côte ouest. Ce sont les bagnards qui ont réalisé cet ouvrage pourvu
d’une piste modeste et de faible largeur (impossibilité à deux voitures de se croiser et il fallait
veiller à ce que personne ne se trouvât en face…)
Puis cet ouvrage fut rénové et élargi, conservant sa circulation sur l’ancienne partie,
mais il lui fut accolé une seconde voie permettant ainsi de l’élargir.
Le franchissement en était toutefois très aléatoire et précautionneux, gare aux étourdis
qui ne regardaient pas en face !
Il n’en fut pas de même récemment pour le pont digue sud qui lui fut totalement coupé…
Durant quelques quatre mois, la file de voitures, motos, scooters, vélos attendant radeaux
ou pirogues pour traverser était impressionnante…
Rapidement, un business se mit en place et deux pirogues accouplées avec un radeau
central et poussé à la perche permettait aux véhicules de traverser jusqu’à une petite
plage de l’îlot Madame… Comme quoi Madagascar est bien une terre miraculeuse
car à ma connaissance, il n’y a pas eu d’incidents…
Le nom d’îlot Madame viendrait du fait que la reine Betty aurait fait construire sa
résidence sur cette île. Ses suivantes et domestiques n’étaient toutes que des femmes
et effectuaient en pirogue le va-et-vient de la terre ferme à l’île, d’où son nom
« île aux-Madames ». Cela n’est qu’une version, mais je la trouve jolie et poétique.
Cet îlot est donc situé au centre du front marin de la baie des Forbans où trône en son
centre l’île aux Forbans. Au XVIIème siècle les grands vaisseaux pirates entraient dans la
baie par la passe nord dont le tirant d’eau était suffisant pour ces vaisseaux qui se
cachaient alors derrière l’île aux Forbans d’où ils étaient invisibles de la mer.
Le Baron 2020/2021